Interview d’alexandre Perreau-Niel, responsable de la section Arbitrage au lycée Joseph Fourier à Auxerre

Rencontre avec Alexandre Perreau-Niel, 39 ans, enseignant d’EPS au lycée Joseph Fourier à Auxerre dans l’Yonne, qui a la responsabilité de la section Arbitrage depuis maintenant 15 ans. En parallèle, Alexandre Perreau-Niel est arbitre de football du secteur professionnel en Ligue 2 depuis 9 ans.

Alexandre, qu’est-ce que cette filière formation ?

C’est une filière, dans un établissement scolaire, qui permet à des lycéens et des lycéennes de poursuivre dans le même temps des objectifs scolaires et des objectifs sportifs.

C’est un peu comme une option qui pourrait être latin ou musique, mais dans leur cas, l’option Arbitrage : donc leur emploi du temps est aménagé pour pouvoir suivre cette formation spéciale aussi bien du point de vue théorique que pratique, avec une philosophie particulière qui est de faire vivre ensemble dans 3 entraînements par semaine les arbitres et les joueurs de la section sportive.

Combien y-a-t-il de filières comme celle-ci en France ?

Aujourd’hui, je crois qu’il y a 19 filières réparties sur l’ensemble du territoire (sauf en ligue Méditerranée). A Auxerre, cette année, j’ai 10 élèves filles et garçons. Il faut savoir que la Fédération (la Direction Technique de l’Arbitrage) a préconisé d’en avoir 10 et au minimum 7 pour que la filière arbitrage puisse fonctionner correctement. De toute façon, si on en avait beaucoup plus, nous n’aurions pas assez de matches support pour les faire progresser et pour les faire tous arbitrer.

Quelle est la répartition entre les filles et garçons ?

Depuis 15 ans, je n’ai jamais eu 2 filles en même temps. Il y en a une qui part, il y en a une nouvelle qui rentre et qui prend sa place, parce qu’on a très peu de filles qui postulent à l’entrée dans la filière arbitrage enfin, en tout cas pour Auxerre.

Par contre côté joueuses, on a beaucoup plus de candidates, comme pour les joueurs. Cela va avec la fonction d’arbitre, la difficulté à attirer des garçons mais aussi bien les filles en France.

Sur l’ensemble du territoire, combien y a-t-il d’élèves ?

Avec 7 à 10 élèves par filière, on arrive à 170 élèves et arbitres par an environ qui sont répartis sur les 3 classes d’âge : 2nde, 1ère et Terminale. A Auxerre par exemple, cette année, j’en ai 4 en 2nde, 4 en 1ère et 2 en Terminal, c’est vraiment 10 au global et pas par niveau.

On recrute aussi bien en 2nde qu’en 1ère. Mais on ne recrute pas en Terminale parce qu’il faut du temps pour s’adapter à la formation, pour prendre ses marques, et si on arrive en Terminale, on ne pourra pas suivre pleinement la formation et en profiter pleinement, donc on les recrute seulement en 2nde ou en 1ère.

A l’issue de la Terminale finissent-ils avec un diplôme particulier ?

L’objectif prioritaire c’est d’avoir le BAC donc ils sortent avec le BAC. Et d’ailleurs à Auxerre, on a 100% de réussite depuis 15 ans et en parallèle on leur permet de progresser en arbitrage. On ne peut pas leur promettre à tous de devenir Jeune Arbitre de la Fédération. Malgré tout, à Auxerre, 75% des jeunes qui sortent, deviennent Jeunes Arbitres de la Fédération et vont officier en U19 ou U17 par la suite alors qu’ils ont 18 ans.

Quel est le public de cette filière ?

Ce sont des jeunes de tout horizon, de collèges publics ou privés, et de tous les milieux sociaux. Après, il faut aussi comprendre que l’on recrute sur dossier scolaire parce que l’élève doit être en mesure de pouvoir mener à la fois une pratique sportive arbitrale intensive et les études au lycée. Les jeunes qui viennent à l’arbitrage viennent pour différentes raisons, ça peut être en raison des blessures, pour l’argent, parce qu’ils ont quelqu’un dans leur famille qui était arbitre ou ça peut être aussi parce que l’arbitrage est pour eux vraiment une vocation.

Souvent, ce sont des élèves qui pratiquent le football avant. C’est un point intéressant parce qu’ils ont une meilleure compréhension du jeu et des événements, ils ont une meilleure lecture du jeu, ça vient enrichir cette culture du football mais ce sont surtout des élèves qui ont cette vocation. Ils rêvent d’être arbitre. C’est vraiment un truc qui est très positif.

Parfois, ce sont aussi des jeunes qui savent qu’ils sont un peu limités au foot, et qu’ils peuvent sûrement avoir une carrière qui pourra les emmener plus facilement vers le haut niveau. Ils font donc le choix de partir dans ce sens-là et ils ont raison.

Si leur objectif c’est d’atteindre le haut niveau et qu’ils sont conscients, lucides sur leurs possibilités du point de vue de leur capacité de footballeur, et qu’ils sont meilleurs en tant qu’arbitre, c’est plutôt pas mal.

Comment vous les recrutez justement, ces jeunes ?

Alors ça se passe en 3 temps. Le premier temps, les jeunes envoient leur dossier scolaire et il y a déjà un premier filtre qui est fait par une commission. Tous les élèves qui passent le premier filtre viennent passer une journée au lycée Fourrier à Auxerre avec leurs parents parce que c’est important que les parents puissent écouter le discours qu’on va leur proposer et de voir un peu comment ça va se passer en termes d’organisation. Ensuite, ils ont un test théorique type QCM sur les lois du jeu. On leur demande également de rédiger un rapport en lien avec une situation arbitrale.

Ils passent également un examen physique où on va évaluer leur potentiel, notamment en termes de vitesse maximale aérobie et en termes de vitesse pure sur 40 mètres. Et enfin, ils passent un entretien avec un jury composé des enseignants d’EPS, responsables des sections sportives, mais également des gens du milieu fédéral, comme par exemple Clément Turpin. On a aussi le Conseiller Technique Régionale de l’Arbitrage ou un représentant de la Ligue qui peut venir.

Suite à ces entretiens, un classement des postulants est établi par les différents membres du jury. Il y a des élèves qui sont retenus pour passer une nouvelle fois devant une commission présidée par le chef d’établissement et constituée des enseignants du lycée. Cette commission valide ou pas la liste qu’on leur présente au regard une nouvelle fois, des appréciations et des notes.

Quel est votre rôle dans ce recrutement et cette formation ?

Alors sur le recrutement, je pilote et coordonne les différentes phases de recrutement. C’est moi qui vais collecter les dossiers, organiser la journée de sélection, les moments de tests, les entretiens, et je vais aussi présenter les dossiers à la commission pédagogique.

Passé ces premières étapes, on a une phase où on prépare la logistique et la venue des jeunes : trajets, horaires,… Est-ce qu’il va falloir les aider avec une famille d’accueil pour les mettre dans les meilleures conditions possibles pour pouvoir affronter une semaine qui va être très, très chargée ?…

Ensuite, pendant l’année, je m’occupe avec l’équipe pédagogique, de la préparation physique et de la préparation théorique : Lois du jeu, briefings / debriefings des matchs du week-end, accompagnement sportif sur les compétitions notamment en lien avec l’UNSS (le sport scolaire). Et puis, le rôle presque le plus important, c’est de les accompagner aussi du point de vue scolaire, s’assurer que sur ce plan, ils restent dans les clous, que les notes restent très satisfaisantes et qu’ils arrivent à combiner le sport et l’école pour ne pas les mettre en danger sur l’école. Parce qu’il faut bien savoir que ces filières-là, c’est pour les faire progresser, mais c’est pas ce qui va leur donner un métier, parce qu’aujourd’hui c’est un métier pour 50 personnes donc c’est vraiment important qu‘ils réussissent du point de vue scolaire pour pouvoir s’orienter comme ils le souhaitent professionnellement. Et l’arbitrage après ne sera qu’un plus, mais un gros plus par contre, ça c’est sûr.

Justement, vous avez des retours sur d’anciens élèves qui vous expliquent un peu ce que ça leur a apporté ?

Pendant 3 ans, ce sont des élèves qui vont se former en tant qu’Homme et en tant que Femme, des gens qui vont devenir autonomes, responsables, qui vont prendre des décisions, qui vont être obligés de se remettre en question, donc ça va les forger, leur forger un caractère et par la suite les aider dans la poursuite de leur cursus.
A Auxerre, ils vont un peu dans tous les domaines. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’on n’a pas de chômeurs aujourd’hui sur les 15 dernières années. 1/3 s’orientent en STAPS, 1/3 à peu près en Droit, un autre 1/3 en Médecine et après quelques-uns qui vont en Management ou en Commerce mais toutes les compétences qu’ils ont pu construire à travers la filière Arbitrage, à travers aussi le rôle d’arbitre, la fonction d’arbitre, ce sont des choses qui les aident dans la vie.

Pour le grand public, l’arbitre, c’est quelqu’un qui est courageux. Quelqu’un qui prend des responsabilités, c’est quelqu’un qui est prêt à affronter les situations délicates voire des conflits, etc… et ça, ça parle à des recruteurs, à des chefs d’entreprise. Je suis convaincu que ça fait la différence entre quelqu’un qui n’est pas arbitre, et quelqu’un qui est arbitre, ça c’est sûr.

Moi ce que je dis aux parents, c’est que quand votre enfant aura fait 3 ans chez nous, ce ne sera pas un élève comme les autres, ce ne sera pas une personne comme les autres parce qu’il aura vécu des choses formidables chez nous. On fait des voyages. D’ailleurs, je reviens de Dubaï avec eux où l’on a été faire de la formation. Ils vivent des choses superbes, mais ils vont vivre aussi des moments difficiles. Et s’ils arrivent à rester dans la fonction, ça va les renforcer et ça leur permet de construire des compétences qui vont leur servir pour leur vie future et leur vie de futurs citoyens. Ca va leur permettre de s’insérer professionnellement, ça c’est du 100%, c’est sûr.

Comment est-ce qu’ils arrivent jusqu’à vous ? En fait, comment ont-ils connaissance de cette filière ?

Alors je vais vous dire à Auxerre ou à l’échelle de la région, c’est notre communication et nous avons des ambassadeurs dans chaque district de la Ligue. Souvent ce sont d’anciens élèves qui sont encore arbitres et qui vont présenter la filière lors des réunions des jeunes arbitres de district.

On envoie aussi un courrier à tous les jeunes arbitres de Ligue Bourgogne pour encore une fois renforcer ce message, leur dire qu’on peut les recruter, etc… Et ensuite, ce qui a beaucoup d’impact aussi c’est que depuis 15 ans, on est souvent passé à la télé, on a souvent eu des vidéos, des reportages et on a des éléments de vie des élèves sur Youtube. Et voilà comme les jeunes sont friands des réseaux sociaux, ils voient ces vidéos et ils se disent, tiens, moi aussi, Auxerre ça a l’air sympa et ils peuvent être touchés de cette manière-là. On a aussi un Instagram à la filière arbitrage.

Comment arrivez-vous à convaincre ces jeunes ?

Je ne cherche à convaincre personne. La porte est grande ouverte, c’est eux qui font le choix de venir. C’est vraiment quelque chose de volontaire, quelque chose qui est réfléchi avec leur famille, donc on n’a pas besoin de les convaincre. Ils savent déjà que ça va les aider dans leur carrière, ça va les aider à progresser. Moi je les accueille et après je les accompagne. Le premier pas, c’est eux qui le font tout seul.

Vous me parliez de Dubaï, on peut justement parler un peu de l’expérience à l’étranger ?

Lorsque les élèves sont en filière arbitrage, ils sont obligés d’être licencié à l’UNSS, au sport scolaire qui offre des possibilités très intéressantes en terme d’événements et d’expériences pour les élèves. Il faut savoir que lors des championnats de France, les meilleurs arbitres de ces championnats vont sur les championnats du monde. Et donc moi, j’ai des élèves qui depuis 15 ans sont partis aussi bien en foot qu’en futsal, parce qu’ils avaient été détectés comme étant les meilleurs arbitres à un moment donné sur les championnats. Ils sont partis au Brésil, au Guatemala, en Croatie, en Italie, etc… donc c’est eux tout seul, qui vont gagner grâce à leurs compétences, un titre qui leur permet d’arbitrer à l’international.

Et après la 2ème chose, à Auxerre, en tant qu’enseignant d’EPS je suis fortement lié à l’UNSS, et donc on nous propose des projets qui en appellent de nouveaux autour de la formation à l’arbitrage au Canada, à Shanghai, au Cameroun et 3 fois à Dubaï où on se déplace avec des élèves de la filière Arbitrage d’Auxerre pour former des jeunes intéressés dans les établissements français à l’étranger. Ce sont des élèves qui ne sont pas encore arbitres mais intéressés par la fonction et ça va leur apporter quelque chose dans leur cursus scolaire, ça va leur donner un plus, ça va leur donner une spécificité et donc ils s’inscrivent à la formation.
Et nous on va sur place, on fait une formation pratique et théorique, mes collègues mettent en place des tournois, ce qui permet de mettre en œuvre la formation qu’on a donnée à ses élèves. Ils sont encadrés par les élèves du lycée Fourier sur l’ensemble de la formation. Et ensuite ils valident un niveau pour l’UNSS, un niveau qui est reconnu.
C’est vraiment une expérience enrichissante qui est possible parce qu’ils sont arbitres.

Un mot pour finir ?

L’arbitrage permet de vivre des expériences formidables. Ça permet de construire des compétences, des compétences qu’on ne peut pas développer dans d’autres domaines, notamment quand on est à l’école et donc c’est un plus. C’est un plus dans la vie sportive. Mais c’est aussi un plus dans la construction du citoyen et dans l’insertion professionnelle, ça va leur donner une longueur d’avance. Pour moi slogan pourrait être « Deviens arbitre et prends une longueur d’avance ».

 

Il existe en France 21 Sections Sportives Filières Arbitrage (SSFA), labellisées par la FFF et conventionnées par l’Éducation Nationale. Elles sont toutes accolées à une Section Sportive Scolaire Football. Les SSFA permettent aux jeunes lycéen(ne)s entrant en seconde ou en première, de suivre une formation d’arbitre de qualité tout en profitant d’une scolarité adaptée et complète. Cette formation en arbitrage est structurée autour de quatre axes d’enseignements spécifiques : la préparation athlétique, la préparation théorique, la préparation technique et pratique ainsi que la culture du football et de l’arbitrage. Si les élèves apprennent, durant leur cursus dans une SSFA, à devenir de meilleurs arbitres, ils développent également des compétences transversales essentielles pour leurs vies de citoyens et leurs vies professionnelles futures.

 

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