Rencontre avec Doriane Domenjo, arbitre internationale au Tournoi des 6 Nations féminin 2023 🏉.
Êtes-vous impatiente après avoir vu le Tournoi des VI Nations masculin ?
Oui ! En effet en 2020 nous avions commencé le Tournoi en février et nous l’avions fini en novembre pour cause de pandémie. Depuis deux ans maintenant le Tournoi féminin se tient au printemps après le Tournoi masculin. Je pense que c’est doublement positif, c’est le printemps, le climat est plus agréable (surtout chez nos amis anglo-saxons, rire) et il est certain que ça apporte plus de visibilité au Tournoi. Pour revenir au sujet, effectivement impatiente de vivre à notre tour toutes les émotions que peut procurer cette compétition. C’est toujours un grand moment et ce dernier prend de plus en plus d’ampleur, les audiences grimpent et dans tous les stades on bat des records d’affluence, preuve de l’engouement autour de ce Tournoi avec des équipes qui se professionnalisent et qui produisent un rugby de plus en plus technique.
Comment avez-vous préparé ce tournoi ?
Je le prépare depuis 2020 et c’est mon premier tournoi en tant qu’arbitre assistante désignée par World Rugby. Lors de cette première sélection j’ai pris la mesure du niveau d’exigence et des standards de la haute performance arbitrale. Aussi avec en ligne de mire la Coupe du Monde 2021 qui s’est finalement tenue en 2022, j’ai tout mis en place pour répondre aux attentes. C’est passé par des cours d’anglais une heure par semaine, un suivi sportif plus personnalisé, des entraînements physiques qui ont doublé et également un travail technique avec des débriefings pointus et de nombreuses analyses vidéo pour performer au plus haut niveau. Après ces deux années de travail intense et une sélection pour la Coupe du Monde en Nouvelle-Zélande, je me suis accordée une petite pause même si dès mon retour j’ai repris le sifflet en France sur les terrains de Fédérale 1 pour mon plus grand plaisir ! La préparation ne s’arrête jamais, les expériences m’enrichissent, qu’elles soient bonnes ou mauvaises et c’est un travail sur le long terme avec à l’horizon 2025 la prochaine Coupe du Monde féminine en Angleterre pour laquelle j’ai l’objectif d’être arbitre centrale.
•Quel est votre quotidien à l’approche d’une grande compétition ?
Quand nous avons reçu les désignations fin janvier, c’était le début d’une nouvelle aventure. Comme je le disais précédemment, on travaille depuis des années mais à l’approche du Tournoi ce travail devient plus spécifique. La préparation physique est ciblée sur des éléments précis, le travail vidéo se fait aussi sur le terrain pour se préparer à prendre des décisions sous pression. La connaissance de la règle est un prérequis mais il est toujours utile de réviser certains points et de se familiariser avec les nouveautés de dernières minutes. Le travail avec mon coach d’anglais est lui aussi différent et consiste en des jeux de rôles autour de clips. Il y a aussi un travail mental de groupe et individuel avec le préparateur mental de World Rugby. Puis il y a le stage de préparation juste avant le début de la compétition, l’occasion de partager des moments ensemble et d’accueillir les nouvelles venues pour ce nouveau cycle post-Coupe du Monde 2022.
Durant trois jours, nous créons une dynamique de groupe, nous échangeons afin d’avoir une philosophie claire autour des différentes phases de jeu pour qu’une cohérence d’arbitrage transparaisse sur l’ensemble des terrains. Individuellement et collectivement tout est donc mis en place pour être dans les meilleures conditions et vivre un beau Tournoi.
Equipe arbitrale du match Pays de Galles / Irlande du 25 mars 2023
Depuis deux ans, qu’est-ce que la Fédération met-elle en œuvre pour que votre quotidien soit aménagé ?
Dans la vie mon métier c’est professeure d’EPS mais l’arbitrage est clairement un deuxième métier à part entière. Depuis deux ans je bénéficie du statut d’arbitre de Haut Niveau. Ce dernier me permet d’être libérée de mes cours et donc de me rendre sur les matchs ou les compétitions pour lesquelles je suis désignée. C’est une chance de pouvoir répondre favorablement aux convocations et aux opportunités qui me sont offertes. Pour autant cela ne change rien à mon quotidien qui reste celui d’une professeure d’EPS.
Quel retour d’expérience pouvez-vous faire après votre participation à la Coupe du Monde en Nouvelle-Zélande ? Avez-vous le sentiment d’avoir franchi un cap ?
Je pense avoir vécu une expérience exceptionnelle et avoir assisté à la naissance d’un groupe. Grâce aux Tournois des VI nations féminin, aux tournois U20 masculin, aux autumns and summers series et aux nombreuses visios nous nous connaissions entre arbitres mais là nous avons vécu ensemble pratiquement huit semaines et des liens forts se sont tissés. C’était intéressant d’échanger et de comprendre comment chacune vit sa passion du rugby et les différents points de vue selon les nations.
Pour répondre à cette question j’aimerais vous partager mon ressenti lors du tout premier match de la compétition, « Nouvelle Zélande – Australie» à l’Eden Park d’Auckland.
Lors des hymnes l’idée était de profiter de l’instant. Mais beaucoup d’émotions se sont mélangées. La joie d’être présente pour cette Coupe du Monde après tous les efforts engagés, la fierté de représenter la France, et bien sûr une pensée pour ma famille qui était devant la télé mais aussi pour mes grands-parents qui auraient été fiers de me voir au milieu de ce stade mythique.
Le match a ensuite démarré. C’était le moment de mettre en application tout ce que j’ai appris durant ces deux années de préparation mais aussi depuis que j’ai commencé, car la pratique de l’arbitrage se construit et s’enrichit au fur et à mesure de nos expériences.
Le match a été intense avec un début incroyable des Australiennes puis des Blacks Ferns prises par l’enjeu qui sont revenues au score avant la mi-temps. C’était serré, il y avait beaucoup de suspens et une action où l’Australie commet deux fautes qui leur valurent deux cartons jaunes. C’est le moment où les Blacks se sont échappées au score et où les supporteurs ont pu laisser éclater leur joie dans un stade plein.
Une telle expérience fait forcément grandir plus vite et franchir un cap. S’entraîner et parler rugby tous les jours, vivre comme une arbitre professionnelle pendant deux mois, c’est forcément un accélérateur dans la carrière.
Dans quel secteur estimez-vous devoir encore progresser ?
Dans l’arbitrage, rien n’est jamais gagné, ni acquis. C’est une remise en question permanente dans tous les secteurs pour progresser. Nous travaillons de plus en plus avec la vidéo pour nous analyser. On nous donne également des process clairs, des arbres décisionnels et nous devons ensuite appliquer sur le terrain à chaque instant des check-lists pour arbitrer chaque situation de jeu. Mais une des compétences sur laquelle on ne finit jamais d’apprendre, c’est la gestion de match. Le bon arbitre accompagne et donne au match ce dont il a besoin, il arbitre dans un contexte, il sent le match et seule l’expérience des années terrain peut l’apporter.
•Êtes-vous surprise qu’aucune femme n’ait déjà arbitré en Top 14 (arbitre de champ, touche) ?
Tous les sports n’en sont pas au même stade en raison de leur histoire, mais je dirais malgré tout qu’il y a de l’espoir. D’autres nations ont des arbitres féminines au plus haut niveau national. Dans d’autres sports en France, des arbitres féminines ont également réussi à prouver leurs compétences et se retrouvent aujourd’hui au plus haut niveau, comme Stéphanie Frappart au football ou les sœurs Bonaventura au handball. Cela montre qu’il est possible de voir un jour une arbitre féminine en TOP 14. La pionnière en France fut Christine Hanizet, qui a officié en PROD2. A nous, arbitres féminines françaises de rugby, de transformer l’essai en prouvant par notre travail qu’il faut nous laisser nous exprimer au plus haut niveau. Toutefois, à l’heure actuelle, l’arbitrage féminin est un engagement personnel. Il est le fruit d’une passion pour notre sport.
Nous sommes à l’orée de l’évolution des mentalités et travailler en bonne intelligence avec les institutions sera la clé pour finaliser la féminisation de l’arbitrage à tous les niveaux.
Comment avez-vous attrapé le virus de l’arbitrage ? L’avez-vous transmis à d’autres personnes ?
Les circonstances ont fait que la joueuse de rugby qui sommeillait en moi s’est révélée à l’occasion du passage de mon concours de professeure d’EPS. Le basket, mon sport de prédilection, ayant été retiré des épreuves sportives je me suis mise au rugby. Aucun regret, bien au contraire, car j’ai rencontré des personnes formidables, notamment les bénévoles qui font tourner les clubs et des coéquipières qui sont devenues des amies pour la vie.
Je ne parlerais pas de virus mais de quelque chose d’ancré dans l’ADN. Pour la petite histoire mon grand-père était arbitre de rugby et je pense avoir toujours eu dans un coin de ma tête l’idée de prendre le sifflet et un jour j’ai sauté le pas. C’était en juillet 2013, à l’occasion d’un tournoi de beach rugby. Ce jour-là, j’ai échangé avec un arbitre de TOP 14 et c’est ce jour-là que j’ai décidé que j’allais me lancer dans cette grande aventure !
Le choix d’être arbitre fut dès lors en réalité une évidence car sur le terrain, avec le sifflet de mon grand-père, je me sens légitime, à ma place.
Aujourd’hui je suis en charge du développement de l’arbitrage féminin pour la Ligue Occitanie de rugby, une mission qui me tient à cœur afin de rendre ce qui m’a été donné, de partager mon expérience et pourquoi pas d’aller dans les clubs pour susciter des vocations. Plus que transmettre le virus de l’arbitrage, l’idée est de donner envie aux jeunes ou moins jeunes de progresser et que chacun et chacune s’approprie les contenus transmis afin de se construire. Au sein de l’UNSS je forme également des jeunes officiels et officielles qui seront peut-être de futurs, futures arbitres. Ces derniers feront ainsi vivre le rugby et cela peu importe le niveau où ils officieront. La transmission est la clé pour un avenir fondé sur des bases communes dans l’objectif de faire briller l’arbitrage français.